Quel est le point commun entre Sophia Danenberg, Jessica Watson, Jehanne Bergé, Sophia, Izira, Caroline, Wina, Yasmine ou encore Baba Lena ? Toutes ces femmes, chacune dans leur époque, leur contexte, leurs privilèges ou en leur absence, se sont confrontées et ont éprouvé des limites géographiques. Ces déplacements, au départ d’une décision voire parfois d’une détermination acharnée, emmènent l’être qu’elles ont été à la rencontre de qui elles sont.
Qu’il s’agisse de rencontres humaines, de modes de vie décentrant leurs savoirs culturels, d’aventures forçant au dépassement physique, l’envie de partir a souvent été présente dans la vie des femmes et bon nombre d’entre elles ont franchi le pas malgré (ou avec) les interdits ou les mises en garde.
En fonction de leur époque, de leur statut, ou pour garantir leur sécurité, elles ont parfois dû avoir recours à des subterfuges (s’habiller et se faire passer pour un homme, cacher leur itinéraire, etc.) pour prendre la route.
Les voyageuses doivent encore à l’heure actuelle préparer leurs échappées en faisant face aux nombreux clichés qui leur collent à la peau : femmes imprudentes, égoïstes ou névrosées, qui ne rencontrent - où qu’elles aillent - que des étrangers (où sont les étrangères ?) et donc des problèmes vis-à-vis de leur intégrité physique et morale. En bref : pourquoi pars-tu, que vas-tu chercher ?
Alors que je vous écris, je rentre moi-même d’un voyage solo. Juste avant de partir, j’ai rencontré plusieurs exploratrices pour m’intéresser à ce qui pousse ces femmes à quitter leur « foyer ». Elles m’ont parlé d’humanité, de rêves, de limites à dépasser, d’itinéraires, de transports et de logements qui permettent d’accéder à de vraies rencontres, reléguant dans un coin de leur tête ce corps encombrant qui a l’air de préoccuper tout le monde.
Voyager c’est accepter de perdre l’équilibre ! Alors laissez-vous emmener : vous pourrez découvrir le podcast de Jehanne, ainsi que le témoignage de nos voyageuses. (Voir en bas de page)
Depuis petite, j’ai toujours voulu voyager mais je ne venais pas d’une famille de voyageurs. J’en étais arrivée à la conclusion qu’il y avait « les voyageurs » et puis les autres, comme moi.
J’ai ensuite vécu une grosse remise en question. Moi qui n’étais jamais partie : j’ai revendu ma voiture, j’ai donné une grande partie de mes affaires, j’ai pris mon sac à dos et un visa pour l’Inde. 5 mois.
On m’avait appris des tas de trucs : qu’il fallait bien travailler à l’école, avoir un bon job, un mari, des enfants. Et là, alors que j’y étais, ma vie ne correspondait pas du tout au plan de départ. Alors peut-être que cette histoire de « voyageurs » c’était faux aussi.
J’étais prête à ne pas revenir, je voulais savoir qui j’étais et je voulais le faire seule. Les copains m’ont mis au défi, j’ai fabriqué un tutu avec leurs bouts de tissus sur lesquels ils avaient noté des souhaits.
A peine arrivée, à la gare à Delhi, j’étais la seule personne claire de peau. Tout était différent. J’étais perdue.
Au Rajasthan, j’ai échangé avec des indiennes, l’une d’elles m’a dit: « Ta vie est plus difficile. Moi j’ai choisi mon mari, je voulais une belle maison et un enfant à élever. J’ai tout ça et je ne dois pas aller travailler tous les jours. »
Ça m’a fait réfléchir. On veut des choses différentes parce qu’on a été élevée à vouloir des choses différentes. S’il y a de beaux moments quand on voyage seule, il y a aussi des moments où il n’y a personne, on chiale le soir et on se dit : « c’est quoi ma vie, qu’est-ce que je fou ici ? ».
En Inde, il y a beaucoup de pauvreté, on la voit mais il y a moins de « misère » qu’à Paris. J’ai du apprendre à gérer ma culpabilité.
Je pourrais aller avec 1.000 euros en poche dans une rue au Rajasthan et tout donner mais je n’aurai rien changé à la situation. Il faut donc s’intéresser à comment ça fonctionne. Durant ce voyage, c‘est moi qui étais à l’école.
De retour, je suis devenue le « héros » du groupe, je n’étais plus la petite dernière, ils me regardaient comme si on ne pouvait disqualifier l’expérience.
Je suis sur Facebook sur un groupe de voyageuses : « We are blackpackeuses ». On aborde toutes les questions de destinations, d’auberge de jeunesse, etc mais on aborde aussi le racisme. Je viens d’une famille avec une structure très particulière. Le voyage, ce n’est pas du tout un truc inscrit dans notre mode de fonctionnement familial.
Mes premiers voyages ont eu lieu il y a 4 ans. Mes parents étaient au Congo, je n’avais plus forcément de comptes à rendre. Je pouvais même m’absenter sans qu’ils soient au courant. Ça a été vraiment le déclencheur.
Moi je n’ai jamais accepté que l’argent ou le milieu social soit une limite à mes rêves, je m’interdis ça. Si je veux faire un tour du monde, je vais m’arranger pour le faire. Et donc j’ai choisi le top, j’ai travaillé pour payer toute seule mon voyage à New York.
Je suis partie le 29 juin, ce sentiment quand je suis montée dans l’avion était indescriptible. La paix intérieure, du coeur, cette sensation : je suis au bon endroit, au bon moment, tout ce que j’ai fait derrière moi est bon, je n’ai plus qu’à vivre.
Je suis revenue de là complètement changée. J’en avais marre des gens qui me faisait perdre mon temps bêtement, marre d’attendre, marre des gens qui disaient : « Mais Wina pourquoi tu fais ça tu es folle, tu es une femme, tu es noire, tu es jeune, tu n’as pas d’argent… ».
Il suffit juste d’ouvrir les yeux, c’est autour de toi, mais quand tu es dans un espace familier tu ne fais pas attention et surtout, tu provoques moins les opportunités dans ta routine. Tu te crées des limites. En voyage, on est beaucoup plus libres. Et puis, voir de nouvelles choses, de nouveaux paysages, faire des choses que tu n’as pas l’habitude de faire. Connaître sa place.
Il y a des villes qui m’ont fait me sentir chez moi, c’est très important. Où est-ce que je vais me développer une fois que j’aurai fini mes études ? La plupart des gens émigrent vers les pays colonisateurs. C’est un choix que mes parents ont fait mais il n’y a rien qui m’oblige à faire le même choix. Il faut aller voir avant, tant que tu ne connais pas, tu ne sais pas.
Elle a fait son 1er « voyage » à 3 ans, a quitté le Rwanda pour la Belgique, est partie un an au Vénézuela et a levé son pouce dans la grande Europe.
« Le voyage pour moi ça fait partie de la vie, c’est parfois une étape obligatoire et c’est lié à ma famille. A 17 ans, j’ai eu envie de partir le plus loin possible. Ce fut le Vénézuela. Une expérience de vie loin de mes parents. »
« 3 ans après, mon amie et moi on a décidé d’y retourner pour voir nos familles d’accueil et voyager jusqu’au Machu Pichu. Sans pro-gramme. A la moitié, on a rencontré une dame qui nous a demandé : « C’est quoi être touriste ? ». On ne savait absolument pas répondre. On a réfléchi et puis on a écourté notre trip en nous disant qu’on ne voyagerait plus comme ça car ça ne faisait pas sens pour nous. »
« Après, on a plutôt voyagé en Europe. On a fait la Transylvanie en stop. Dans les petits villages, ils n’avaient jamais vu de noir.e, ils me touchaient, posaient des questions. Avec mon amie c’est chaque fois un voyage d’amitié dans notre amitié. »
« Le stop, ça me permet de me dire que le monde est peuplé de gens qui sont là pour aider les autres. A chaque fois que tu attends, tu te rappelles que le monde est fait d’incertitudes, que tu ne sais pas ce qui va t’arriver, qui tu vas rencontrer mais tu sais que tu vas rencontrer quelqu’un. »
« On a une idée de la destination mais pas de la route. On prend un café pour se mettre en confiance, s’avouer notre stress, remettre les choses à zéro, voir qui de nous deux a envie de parler, de prendre le lead ou, au contraire, de rester à l’arrière. »
« Le stop c’est la magie de ce moment de solidarité et d’ouverture qui se crée. Tu es le demandeur, tu reçois, sans jugement. »
« La 1ère fois que j’ai fait du stop avec un garçon, j’ai détesté. J’ai dû me battre tout le voyage pour avoir ma place et finalement, épuisée, j’ai arrêté. Il y a une sorte de hiérarchie naturelle : les femmes et les enfants à l’arrière. »
« Mes conseils: ne faire du stop que si on en a envie, avoir conscience du risque et commencer à plusieurs. Il existe plein de façons de se protéger. »
« Je ne suis pas une grande baroudeuse ni seule, ni accompagnée, mais j’ai fait quelques voyages toute seule. Mon leitmotiv est : si j’ai envie de faire quelque chose et qu’il n’y a personne pour m’accompagner je ne m’empêche pas de le faire. Ça ne s’est jamais mal passé, j’ai jamais regretté, au contraire. C’est assez valorisant, on se dit qu’on peut faire les choses toute seule et une fois fait, on veut recommencer.
La 1ère fois que je suis partie, c’était assez pragmatique, j’avais une semaine de libre avant mon 1er job, je voulais aller à Marseille, personne ne pouvait m’accompagner. J’ai réservé un Airbnb; une chambre chez une femme. J’avais eu pas mal de contacts écrits avec elle, quelqu’un allait m’attendre, ça me rassurait. A Boston j’ai fait pareil, en tant que femme qui voyage seule, je suis plutôt du genre trouillarde et être logée chez une femme c’est mon compromis à moi.
En 1 mois et demi, j’ai pu visiter Boston de long en large, c’était un voyage très intérieur, j’étais très contemplative. J’avais tellement de temps libre à côté de mon volontariat qu’au début ça m’a fait peur et puis les jours passent et on s’organise, je ne me suis jamais ennuyée.
Voyager seule c’est une belle façon de rencontrer les gens et surtout de voyager en soi. On va visiter un endroit et entrer en dialogue avec soi-même, ça va mobiliser des choses qu’on ne va pas chercher le reste du temps. C’est chouette aussi de garder des petites choses pour soi, des secrets, de ne pas tout partager par messages. L’essentiel on peut le raconter quand on rentre.
Seule dans une ville c’est vrai qu’on ne sort pas le soir sans appréhension. J’essaie que ce ne soit pas un frein. Mais même ici, à Bxl, quand je sors, je pense toujours au chemin que je vais faire pour rentrer. Ça reste quelque chose qui est dans la tête des femmes mais jamais dans la tête des hommes, je crois. C’est la même chose en voyage. Je reste prudente partout.
Chaque voyage m’a donné un peu plus confiance en moi. Je me dis qu’il n’y a rien d’insurmontable. Si je peux me débrouiller à l’autre bout du monde, sans mes repères, alors ici les choses semblent plus faciles. »
« A 20 ans je suis partie étudier l’espagnol à Madrid, j’y suis restée 4 ans au lieu de 6 mois. Ensuite, New York pour booster mon anglais. Après ça, Hong Kong. Personne ne voulait m’accompagner. J'ai pris mon billet, réservé un AirBnb et voyagé sur les recommandations d’amis. Là-bas, j'ai mangé en solo, je suis tombée malade et ai appris à me soigner seule. Toutes ces situations qui te sortent de ton confort quotidien, tu apprends à les apprivoiser.
Je cherchais une porte d’entrée pour accéder au milieu des diamantaires à Anvers donc je m’étais inscrite aux cours d’hébreu de l’université d’été de Tel Aviv. Un article du Dr Mukwenge sur le sujet m'a fait changé de trajectoire mais j'ai malgré tout suivi les cours. Je vivais chez une rabin homosexuelle et son épouse, expérience complètement démente ! Tel Aviv est safe pour une femme seule. Finalement, Paris est la ville où je me sens le moins en sécurité. En fait, si je peux vivre à Paris, je peux aller n’importe où.
Récemment, je suis partie 5 semaines à Rio de Janeiro apprendre le portugais brésilien. L’apprentissage est au cœur de mes voyages. J’enseigne le français aux expatriés donc en faisant face aux mêmes difficultés qu’eux, j’améliore mes techniques d’enseignement. Ce voyage, c’était aussi de l’impro. J'ai trouvé ma chambre une semaine avant mon arrivée. Une colloc avec 4 femmes dont 2 avaient l’âge de ma mère. C’est une situation peu commune en France et finalement c’était super ! La vie est différente là-bas. Sans mes repères habituels, je suis plus prudente, j’apprends à me faire confiance. Il faut aimer être inconfortable. Les situations cocasses, ça fait partie du voyage.
Je pars par besoin de déconnexion. L’envie de découvrir, de secouer mon quotidien. Je me plonge dans la culture, je me pose, je n’aime pas devoir bouger tous les jours. Aujourd’hui mes voyages s’adaptent à mes responsabilités, j’écourte la durée mais je prends le temps sur place. Je me fixe un objectif car j’aime apprendre. C’est le comble quand on sait l’élève que j’étais. Finalement, j’apprends plus de mes professeurs aujourd’hui que sur les bancs de l’école. »
Sophie est une sorte d'Alexandra David-Neel de l'humain. Elle a exercé sa curiosité et sa passion tour à tour en portant les étiquettes d'avocate, de chargée de projets d'ONG, de médiatrice, de formatrice. Aujourd'hui, elle est particulièrement active en planning familial et en intelligence collective. Elle s'appelle "écrivaine" depuis peu mais entend bien s'épanouir tant personnellement dans sa voie qu'en encourageant l'empowerment des femmes. Les différentes passions qui se bousculent dans sa tête traitent des voyages, de l'ecofeminisme, de la nature, la littérature, la justice et toutes les formes de créativité. Elle est en charge du département podcast de l'association.
Étudiante en communication à l'IHECS, Aliénor aime s’investir dans des projets qui lui tiennent à cœur. En plus de ses études elle est très active dans plusieurs ASBL et ONG. Elle met un point d’honneur à faire reconnaître et valoir les minorités dans la société. Passionnée par les autres, elle est toujours partante pour un nouveau voyage ou une nouvelle expérience. Elle s'occupe de la gestion des réseaux sociaux de FEMMESProd et de la rédaction de contenus divers.