Les béguinages : premiers lieux de conscience féministe au Moyen-âge ?
Quand on évoque le Moyen-âge, il est habituel d’imaginer une société violente, obscure et masculine. Pourtant, loin de ces clichés, cette époque est marquée par de nombreuses avancées et découvertes. Aussi, des modèles alternatifs de sociétés ont émergé en Europe durant cette période, hors des diktats religieux.
Parmi eux les béguinages, qui ont émergé en Flandre et se sont répandus dans le nord de l’Europe. Ces lieux de vie alternatifs féminins étaient des microcosmes dans la société, pensés par les femmes pour répondre à leurs besoins, hors d’une société patriarcale. Bien que les bâtiments existent toujours, les béguines ont aujourd’hui disparu, mais nous laissent un héritage riche et inspirant.
Ces lieux interrogent donc la place des femmes dans la société Moyenâgeuse, notamment l’idée qu’elles aient pu être les premières féministes.
Les béguinages : microcosmes indépendants pensés par les femmes
Les béguinages sont des lieux de vie où se réunissaient des femmes menant une vie monastique mais laïque, avec des règles internes hors de la vie sociétale et religieuse.
Ils se développèrent à partir du 12e siècle, époque de forte instabilité politique, durant laquelle les hommes partent -et meurent- en Croisades, provoquant une chute de la natalité et de la présence masculine en Europe. Dès lors, le nombre de femmes est majoritaire à celui des hommes, elles se retrouvent ainsi contraintes à être célibataires, veuves ou en couvent, ce dernier demandant une dot pour pouvoir y entrer.
Des femmes décidèrent donc de se réunir en communautés afin d’échapper à ces nombreuses injonctions et aux difficultés liées à la condition féminine de l’époque, notamment à l’insécurité et à l’impossibilité de posséder des biens.
Ces communautés spirituelles et laïques, ne dépendaient pas de l’Eglise, n’imposaient pas de dot et laissaient aux femmes leur libre arbitre, ainsi qu’une pleine possession de leurs capitaux.
D’abord fortement liés aux hôpitaux afin d’accueillir les femmes misérables ou élevant seules leurs enfants, ils se détachèrent rapidement des soins pour devenir des lieux de vie accueillant des communautés de femmes et de personnes vulnérables.
Les béguinages se présentent en ilots de maisons fermés, souvent protégés par des remparts, dans lesquels il est possible de trouver –outre des habitations- des hôpitaux, des potagers, des couvents ou des écoles.
Certains béguinages ont eu une forte croissance, comme celui de Lierre, qui a compté jusqu’à 160 bâtiments. Ces communautés étaient ainsi de vrais villages dans la ville, avec leur propre architecture et fonctionnement interne. Ces lieux ont été construits par les femmes afin de répondre à leurs propres besoins et envies. De cette manière, elles s’approprièrent l’espace public et le façonnèrent pour y vivre, dépassant l’idée que la place des femmes était restreinte à la sphère domestique.
D’abord critiqués par l’Eglise, les béguinages furent finalement acceptés et encouragés par la Papauté, avant d’être décriés par l’Inquisition dont les clercs se méfiaient de leur indépendance. Ils furent finalement mis sous la tutelle de l’Eglise, puis interdits et réprimés en 1312 par le Pape d’Avignon Clément V, à la suite de fortes pressions du roi Philippe le Bel de France et à l’exécution de la fameuse béguine et femme de lettres Marguerite Porete en 1310, pour hérésie, rejet de l’Eglise et de la morale.
Les béguinages ont continué d’exister, intégrés au tiers-ordres mendiants au 15e siècle et la dernière béguine est décédée à Courtrai en 2013.
Qui étaient les béguines ?
Les béguines étaient des femmes célibataires, des veuves ou plus rarement mariées, en recherche d’une vie communautaire moins contraignante que le couvent ou la société civile.
Elles se réunissaient afin de vivre indépendamment, de posséder des biens, leur propre argent, et ainsi de ne vivre sous aucune tutelle.
Ces femmes vivaient en communauté non mixte, mais jouissaient de leur propre indépendance, qu’elle soit pécuniaire, physique, morale ou intellectuelle. Elles travaillaient pour subvenir aux besoins de leur communauté, sans pour autant avoir d’obligation financière envers celle-ci. Elles travaillaient notamment dans les potagers, mais aussi dans les hôpitaux où elles conféraient des soins ou dans des écoles pour éduquer les enfants.
Toutes partageaient des valeurs communes, notamment autour de la spiritualité, l’entraide et l’égalité ; et souhaitaient mener une vie de contemplation et d’aide aux miséreux et malades. Elles avaient le même statut au sein du béguinage, sans hiérarchie, leur permettant ainsi d’avoir une place et une voix.
Leurs activités étaient donc entièrement tournées vers l’aide à autrui, l’érudition et la création, le travail de la terre et la contemplation. Ainsi, leur quotidien était loin de celui de la société pieuse, rythmée par les conflits de cette époque.
Les béguines ont donc modelé une société alternative dont le cœur était la sororité et l’entraide. Une société qui se façonnait au gré de leurs envies et de leurs besoins afin d’assurer sécurité, indépendance et respect. Pour ces nombreuses raisons, les béguines sont aujourd’hui considérées comme les premières féministes.
Les béguinages : des communautés autogérées et féministes en marge de la société ?
Les béguines ont créé un mode de vie alternatif, hors des normes patriarcales violentes, afin de vivre en communauté spirituelle, basée sur l’entraide et l’égalité. Ce modèle de sororité est loin des préjugés sur la place des femmes à cette époque et montre qu’elles ont su s’organiser pour inventer de nouveaux modèles. Elles géraient leur propre environnement, se valorisaient et effectuaient toutes les tâches nécessaires à leur quotidien. Leur vie était modeste car autosuffisante, ne dépendant d’aucune autorité et n’imposant pas de hiérarchie.
Il est aussi intéressant de noter que même si elles étaient religieuses, elles refusaient les modèles ecclésiastiques pour se baser sur des idées laïques et plus spirituelles, hors des dogmes.
En plus de s’approprier un espace et des biens, les béguines utilisaient leur temps pour venir en aide à la communauté, grâce à des actions concrète auprès des oubliés de la société.
Au-delà de créer un mode de vie qui leur correspond, les béguines ont placé des valeurs d’égalités et de solidarité au centre de leur société, témoignant d’une véritable recherche de modèles plus justes pour tous.
Il est intéressant de constater que le seul moyen pour les femmes de vivre en pleine conscience de leur valeur et leur potentialité, a été de se couper des sociétés civiles et religieuses, qui n’ont jamais été pensées pour elles.
Ne pouvant changer les modèles qui leur étaient proposés, correspondant à la domination de l’espace et de l’intime par les hommes, elles ont préféré inventer un nouveau mode de vie et ne plus se conformer.
La question de la non-mixité continue de faire couler beaucoup d’encre aujourd’hui. Il est pourtant intéressant de s’apercevoir que dans une époque ayant fortement invisibilisé les femmes, certaines ont pu vivre en indépendance en contournant les modèles patriarcaux existant. Dans une société conçue par les hommes pour eux-mêmes, elles ont su adapter une architecture à leurs besoins et vivre en autosuffisance, hors des injonctions sociales et religieuses.
Cet exemple matrimonial, illustre ainsi parfaitement la nécessité de laisser les femmes se réunir entre elles afin de penser une société conçue pour elles, plus égalitaire et solidaire.
Je vous propose aussi un tour des plus beaux béguinages de Belgique, afin d’offrir un air de matrimoine à vos prochaines vacances !
Lierre
Turnhout
Anderlecht
Courtrai
Leuven
Tongres (un des plus anciens)
Diest
Bruges
Hoogstraten
Maline
Gand
Bibliographie non exhaustive
STABLER MILLER Tanya,
The Beguines of Medieval Paris : Gender, Patronage, and Spiritual Authority, 2014, University of Pennsylvania Press
PANCIERA Silvana,
Les Béguines, éd., 2009, Fidélité
TALEB Mohammed, "La révolution des Béguines".
Le Monde des Religions, n°46, mars-avril 2011, pp. 6-11
VRANKEN Apolline, Des béguinages à l'architecture féministe. Comment interroger et subvertir les rapports de genre matérialisés dans l'habitat ?, 2018